Routine et enjeux identitaires d’une équipe de baseball scolaire de Taitung
Jérôme Soldani, l’Université de Provence
Vendredi 5 mai 2012
Introduit à Taiwan durant la période japonaise, le baseball y acquiert le statut de « sport national » dans les années 1970, en partie grâce aux nombreux succès internationaux remportés par des équipes scolaires, parallèlement à l’isolement progressif du pays sur la scène internationale. L’ancrage de sa pratique parmi certains groupes autochtones est considéré, jusqu’à nos jours, comme un outil pour leur intégration à la nation. Les joueurs aborigènes représentent aujourd’hui près du tiers des effectifs de la ligue nationale professionnelle et forment une large partie du contingent des équipes scolaires. Dès le secondaire, le baseball constitue une formation parallèle dans le système éducatif où l’inculcation de valeurs morales occupe une place prépondérante et les joueurs sont soumis à un mode de vie ascétique. Ce type d’apprentissage permet aux établissements qui le proposent d’alimenter leur réputation et d’attirer ainsi de nouveaux élèves et des fonds supplémentaires. Lorsque son équipe est majoritairement composée de joueurs issus de groupes autochtones, l’école peut mettre en avant son identité « aborigène » afin de se rattacher à une histoire glorieuse et accroître son capital symbolique. Ces adolescents sont cependant confrontés au regard condescendant d’une institution sceptique quant à leurs capacités non sportives. Leur emploi du temps surchargé articule laborieusement les entraînements quotidiens, le calendrier des compétitions et les impératifs de leur scolarité. L’essentiel de leur temps non valorisé, car hors activité, se passe à l’internat, organisé sous l’égide de la figure paternaliste de l’entraîneur et l’autorité des ainés, où se cristallisent les relations interpersonnelles. Comment ces adolescents s’accommodent-ils, dans ces conditions, des enjeux qui pèsent sur eux ? Comment négocient-ils leurs appartenances au travers de ce mode de vie ? Quelles dimensions économiques interviennent dans leurs choix et leur quotidien ? Des éléments de réponse seront proposés ici, au travers d’une ethnographie s’appuyant sur plus de deux mois d’enquête au sein du lycée national professionnel de commerce et d’aquaculture de Chengkung, au nord du district de Taitung, qui se présente comme démuni sur le plan financier, particulièrement investi dans une pratique du baseball fondée sur une discipline drastique et revendique l’identité « aborigène » de son équipe.
Jérôme Soldani est doctorant en anthropologie à l’Université de Provence (Aix-en-Provence), inscrit à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (IDEMEC, CNRS, UMR 7307), membre du Groupe de Recherche sur Taiwan (CNRS, GDR n°2991) entre 2007 et 2009, et actuellement bénéficiaire d’une bourse pour les candidats au doctorat de l’Institut d’histoire de Taiwan de l’Academia Sinica. Ses recherches en thèse portent sur les tensions entre tradition et modernité qui sont à l’œuvre dans la société taiwanaise, par le prisme du baseball, son « sport national ». Elles s’appuient sur plusieurs mois d’enquêtes de terrain en milieux scolaire et professionnel.