Le rôle de la sphère privée et des réseaux para-académiques dans les années 1980 et 1990
Damien Morier-Genoud, Collège de France
Vendredi 16 mars 2012
Comme l’ont encore récemment montré les commémorations dans l’île des événements tragiques du « 28 février » (1947), l’histoire de Taiwan demeure le lieu d’affrontements idéologiques et politiques particulièrement vifs. Cette histoire embrasse des trajectoires historiques multiples qui, ensemble, lui donnent corps et mémoire dans une dimension nationale singulière. C’est à l’opposition des années 1980 que l’on doit les premières tentatives d’élaboration d’un récit historique centré sur l’île et ses habitants. Ferment d’un imaginaire national nouveau, ce récit a été élaboré par ceux qui ne se reconnaissaient pas dans cette « grande Chine » qu’entendait incarner le régime autoritaire de Chiang Kai-shek en exil sur l’île depuis 1949.
Prenant pour point de départ de l’analyse et de la réflexion le secteur taiwanais de l’édition et deux organisations à caractère militant, la Fondation Wu San-lien des documents sur l’histoire de Taiwan et la Société taiwanaise d’études historiques, je propose pour cet exposé de revenir sur le rôle moteur qu’ont joué la sphère privée et les réseaux paraacadémiques à Taiwan dans le travail de revalorisation et de diffusion d’une histoire et d’une mémoire nationales au tournant de la décennie 1990.
À travers le parcours et l’engagement de certains activistes de l’opposition au Kuomintang, j’examinerai aussi les effets d’interpénétration des réseaux privés et associatifs avec l’institution académique dans l’île après la levée de la loi martiale (1987). Dans quelle mesure peut-on dire que cette imbrication des premiers et de la seconde a contribué à une mutation du discours et à un renversement de la perspective nationaliste chinoise jadis dominante dans le champ de l’histoire taiwanaise ?
Docteur en histoire de l’Institut national des langues et civilisations des langues orientales, Damien Morier-Genoud est attaché de recherche au Collège de France (Chaire d’histoire intellectuelle de la Chine). Sa thèse soutenue en juillet 2011 portait sur L’élaboration d’une historiographie native à Taiwan à l’ère contemporaine. Parmi ses publications : L’historiographie de Taiwan : à la recherche d’une « histoire savante native », Perspectives chinoises 2010/3, p.86-97.